« Cette petite mort de fin de vie n’est pas celle que l’on pense » De Platon à Cicéron de Montaigne à De Beauvoir la vieillesse est sujet.
« Par la manière dont une société se comporte avec ses vieillards, elle dévoile sans équivoque la vérité […] de ses principes et ses fins. »
La sagesse de la vieillesse selon Simone de Beauvoir.

Des parties extérieures visibles semblant entretenues. A l’accueil deux grandes affiches du groupe gestionnaire vantant les métiers des aides médicales, le recrutement, l’ assurance de travailler dans un grand groupe ou le bien être humain est  central. Derrière la vitrine passé les portes sécurisées l’après tempête d’une fin civilisationnelle.

Murs sales, pièces abandonnées, chambres vides, des toiles d’araignées, non du soir non de l’espoir,  figées aux mobiliers des années 70, des insectes volants rampants par centaines vivants et morts au pied des murs de la grande salle des fêtes … 

Des fleurs inodores poussiéreuses artificielles, tiens artificielles… des sols usés, du matériel orthopédique cassé stocké d’un autre âge, une bibliothèque agencée anarchiquement de livres données pour certains inadaptés lourds ,  grands,  avec des sujets des plus exotiques, des dinosaures imagés aux questions existentielles d’une vie. 

Loyer mensuel payé par les résidents à partir de 2 000 €. 

La bienvenue à Gérontoland d’un chemin de vie. 

Le climat est lourd, la chaleur pesante. 

Quelques jouets d’attraction, déambulateurs, fauteuils roulants, boîtes de jeux de sociétés, cassés usés entassés abandonnés dans des pièces non dédiées. Puis un couloir, une chambre, un râle et une fenêtre entre-ouverte sur le monde extérieur fantasmé avec une brise d’été du fut car rompu pour ces résidents nés dans ce siècle dernier où la face du monde ne se limitait pas à un écran virtuel avec un baiser en cul de poule. 

j’envie leurs vies passées, j’envie leur trente glorieuses. 

On vous promet de vivre vos dernières années dans un climat ambiance club med avec de Gentils Organisateurs, bip bip que la fête commence. 

Belle affiche pour une fin de vie dans la joie et la bonne humeur méritée après de durs labeurs. Certains vieux soixante-huitards, professions libérales, cadres, chefs d’entreprises, artisans… 

L’aller simple n’est pas « low cost » chez Gérontoland nombreuses options payées rubis sur ongle. 

Une centaine de vieux immobilisés, la vie à l’horizontale dont des grabataires médicalement assistés allongés dans leur cahute vacant rarement dans les couloirs par manque d’une épaule d’un bras d’une assistance pour les déplacer pour quelques pas la tête verticale dans ce couloir aux couleurs froides.

 X : Il faut lever (de son lit) Madame Martin !

 Y : Pas le temps ! On la lèvera cette semaine. 

Des vieux laissés figés dans une salle à manger à la décoration usée, des tableaux branlants, toujours ces fleurs tombales artificielles poussiéreuses, un vieux poste de radio emprunté, un fond de musique requiem, Barbara, Reggiani, Ferré… 

Un écran plat rappelant ce nouveau siècle programmé sur la médiocrité de ce monde de télé-shopping, télé-réalités, Hanouna, une lucarne allégorique imposée de nos sociétés. 

Aucune possibilité de voyager de rêver de se cultiver. 

Croque la mort dans la médiocrité de ce millenium, l’attente. 

La Cène une cuillère à soupe tiède au bord de leurs lèvres usées, la lanière de la bavette usée nouée à son cou ridé, cassé, lecture d’une vie, le pyjama rayé. Des vieux atteints de cette maladie crasse Alzheimer, Rez de chaussée  sécurisés, on voit l’ombre de ces êtres marcher tourner des heures dans ce corridor de l’absurde, de la mort, semelles usées, une lumière, des sourires, des regards, des instants de lucidité, une prison physique et psychologique, l’horreur. 

Ils sont confinés, nous sommes en 2023. 

Des vieux immobilisés ad vitam dans leur lit, les yeux fermés la bouche ouverte expiant les derniers poussifs en attendant le glas salvateur au plus tôt au plus vite. Ce dernier sens de la vie, le nez, l’odorat, annihilé par les odeurs putrides de ces pesantes heures rappelant ce purgatoire sociétal . 

Les Grands Organisateurs , agents de Service hospitalier recrutés au coût horaire minimal avec prime Ségur au prorata en majorité par Contrats à Durée déterminée hebdomadaire voir mensuelle pour les plus chanceux, une ancienneté forte au sein de l’Etablissement des aides soignants, une seconde maison, une famille, une direction un encadrement absents depuis des mois. Un encadrement sous-traité par le gestionnaire, l’Ehpad est malade, évaluer les symptômes, apporter des solutions possibles, il y a urgence, une fin de vie technocratique assistée. 

L’ARS (Agence Régionale de Santé)  a averti : Les conditions de suivis médicaux, des soins, ne permettent pas de conserver cet établissement dans les critères actuels et acceptables, il y’a une mise en danger des résidents, les décisions seront drastiques. L’ambiance est posée. 

Des salaires à minima souvent imprécis, des heures supplémentaires omises, des primes non imputées, des réclamations constantes pour un bout de pain dû. Un équilibre physiologique fragile, travail de nuit, de jour, le week-end, des résidents parfois difficiles par leurs humeurs leur état de santé, une gestion par l’encadrement interne et externe parfois inhumaine, classifiée selon les coefficients, les fonctions, les statuts, le tutoiement de mise sans réciprocité par respect hiérarchique, on tape sur l’ épaule, on écoute par théorie comportementale  les pleurs les colères les plaintes les complaintes… des emplois humains a défaut de ressources humaines. 

Les GO (Grands Organisateurs) soignants et surtout  aidants n’ont plus le sourire ils ne sont plus drôles ils sont en dépression Ils suffoquent. 

Une aidante, les femmes représentent 80 % à 90 % de la masse salariale..

X : Je gagne à peine le smic j’habite à 30 kilomètres, je vis seule avec mes deux enfants, j’aime mon métier mais « ils (les encadrants) » font tout pour me dégoûter, ils se foutent de nous, c’est toujours de notre faute. 

Il y’a les remplacements de la veille au soir avertis par sms répondant aux très nombreux arrêts de travail pour causes multiples, morales physiques psychologiques des collègues accentués par un environnement disloqué, des locaux sales, sols usés, chambres, couloirs nettoyés partiellement à la serpillière à la force du poignet, les machines ne fonctionnent plus, tout est à l’économie, les autorités ont coupé les fonds dans l’attente du diagnostic. 

Et nos vieux ? Ils sont confinés dans nos couloirs de la mort , nous sommes en 2023.

Les GO s’invectivent, plus d’activités ludiques pour nos vieux, plus de promenades, les causes avancées pas assez de personnel.

C’est surtout une dépression collective du corps accompagnants, ils ont perdu l’envie, la passion, la vocation. Ils s’invectivent, se toisent, se critiquent, craignant le licenciement, la mutation, plus aucune solidarité, plus aucune famille, chacun pour soi et advienne qui pourra. 

Et nos vieux ? Ils sont confinés dans nos couloirs de la mort, nous sommes en 2023 

Les oubliés, des numéros de chambre qui continuent  à être facturés toutes taxes sur la valeur ajoutée activités non effectuées comprises, absence de contacts physiques, oraux.

Un huis clos de la mort du vivant. Insupportable. 

La décision est prise, Gérontoland limite son activité pour un temps, le manège ne répondant plus aux normes humaines. Les vieux quittent un par un leur cahute avec quelques bibelots quelques photos dans la petite valise et sacs plastiques. 

Ils seront placés selon l’offre peu importe où. 

Cet astérisque ne figurait pas sur leur contrat signé.

Et nos vieux ? Ils sont confinés dans nos couloirs de la mort, nous sommes en 2023.

Beaucoup sont avertis par les bruits de couloirs du corps aidant s’exprimant vociférant sans gêne sans respect, à voix hautes d’une chambre à une autre d’un couloir au réfectoire, dernier lieu d’échanges de nos vieux  qui n’est plus que parsemé deçi delà d’ombres humaines le regard perdu..

Nos vieux ?

Ils  ne sont plus déjà là leur présence est oubliée. Un numéro de chambre juste un numéro de chambre. Nos vieux se posent des questions, peu de réponses, les familles sont averties tout autant vaguement dans l’urgence. Certains de nos vieux ont préféré se laisser glisser vers la mort ne voulant supporter cette transhumance sanitaire, pour d’autres ce sera le dernier voyage, ils n’ont pas eu le choix pour beaucoup de leur destination finale, c’est l’administration qui décide. 

Un numéro de chambre, une chambre froide. 

Et nos vieux ? Ils sont confinés dans le couloir de la mort, nous sommes en 2023 

Ainsi va la petite vie la petite mort dans ces mouroir à ciel fermé dans certains de ces établissements à la vitrine racoleuse vantant le bien être l’écoute, l’empathie tant au niveau de son personnel que de leurs locataires aisés ou endettés jusqu’à à leur progéniture. 

Et nos vieux ? Ils sont confinés, des morts-vivants bien vivant nous sommes en 2023.

Oh, je voudrais tant que tu te souviennes 

Des jours heureux où nous étions amis 

En ce temps-là, la vie était plus belle 

Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui 

Les feuilles mortes se ramassent à la pelle 

Tu vois, je n'ai pas oublié 

Les feuilles mortes se ramassent à la pelle 

Les souvenirs et les regrets aussi 

Et le vent du Nord les emporte 

Dans la nuit froide de l'oubli. 

Et nos vieux ? Ils sont confinés, des morts-vivants bien vivant nous sommes en 2023 

Adieu, Odette, Claude, Raymonde… Je vous aimais tant. 

Finalement, nous sommes tous confinés dans ce présent pour oublier ce passé. 

Je n’envie pas la petite mort de nos vieux, je préfère choisir la mienne dans une solitude choisie, dans la dignité, dans le respect de mon passé. 

A mon père ma mère qui sont morts, malades mais  dans la dignité.

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